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Méditation:
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Ajahn Brahmavamso
Traduction française de Phra Asekho |
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Extrait de "Instructions de Méditation"©2007 le Shanga, Wat Pah Nanachat
Le but de la méditation
Le but, dans cette méditation, c’est
la beauté du silence, du calme et de la clarté d’esprit.
La méditation, c’est le moyen de
parvenir au lâcher prise. Dans la méditation, on lâche prise du monde
extérieur, complexe, pour atteindre le monde intérieur, serein. Dans
tous les types de mysticisme, ainsi que dans de nombreuses traditions,
ceci est connu comme la voie vers l’esprit pur et puissant. L’expérience
de cet esprit pur et libéré du monde est merveilleuse et heureuse.
Pendant cette retraite, il y aura du
travail difficile à faire au début, mais consentez à endurer la
difficulté du travail, vous rappelant qu’il vous fera vivre des états
très beaux et significatifs. Ils en vaudront bien la peine ! C’est une
loi de la nature que sans effort on ne progresse pas. Qu’on soit laïque
ou moine, on n’arrive nulle part sans effort, qu’il s’agisse de la
méditation ou de n’importe quoi d’autre.
Pourtant l’effort seul ne suffit pas.
Il doit être appliqué astucieusement. Cela signifie diriger votre
énergie juste aux bons endroits et l’y maintenir jusqu’à ce que la tâche
soit accomplie. Un effort appliqué avec astuce n’est ni gênant ni
dérangeant, et il produit cette belle paix de la méditation profonde.
Pour savoir où diriger votre effort,
il vous faut comprendre clairement le but de la méditation.
Le but de la méditation, c’est la beauté du
silence, du calme et de la clarté d’esprit. Si vous parvenez à
comprendre ce but, alors le lieu d’application de votre effort et le
moyen d’atteindre le but deviennent très clairs. L’effort est dirigé vers le lâcher prise, vers le développement d’un esprit qui tend à l’abandon. Une des nombreuses déclarations simples mais profondes du Bouddha est « qu’une personne qui médite, dont l’esprit tend à l’abandon, atteint sāmadhi facilement » (précisément le but de la méditation). Une telle personne obtient ces états de béatitude presque automatiquement. Ce que disait le Bouddha c’est que la principale cause de la méditation profonde, pour atteindre ces états puissants, c’est la volonté d’abandon, de lâcher prise et de renoncement. Pendant cette retraite de méditation, ce n’est pas l’esprit qui accumule et s’accroche aux choses que nous allons développer, mais plutôt l’esprit qui consent à lâcher prise, à poser les fardeaux. En dehors de la méditation, nous devons porter le fardeau de nombreux devoirs, comme autant de lourdes valises, mais pendant la période de méditation tous ces bagages ne sont pas nécessaires. Pendant la méditation, voyez donc si vous pouvez décharger autant de bagages que possible. Considérez ces choses comme des fardeaux, de lourds fardeaux qui vous pèsent. Ce sera alors l’attitude correcte pour lâcher prise de ces choses, les abandonner librement, sans vous retourner. Cet effort, cette attitude, ce mouvement de l’esprit qui tend à l’abandon, c’est ce qui va vous mener à la méditation profonde. Dès les premières étapes de cette retraite, voyez si vous parvenez à générer cette énergie de renoncement, la volonté de donner et, petit à petit, le lâcher prise se fera. A mesure que vous abandonnez les choses dans l’esprit, vous vous sentirez beaucoup plus léger, délesté et libre. Dans la voie de la méditation, cet abandon des choses se fait par étapes, pas à pas.
Vous pouvez franchir les étapes
initiales rapidement si vous le désirez, mais si c’est le cas, faites
très attention. Parfois, en franchissant les étapes initiales trop vite,
on trouve que le travail de préparation n’a pas été accompli. C’est
comme essayer de construire une villa sur des fondations faibles et
posées à la va-vite. La structure grimpe très vite, mais elle retombe
très vite aussi ! Vous seriez donc sages de passer beaucoup de temps sur
les fondations, et sur le « rez-de-chaussée » aussi, en accomplissant un
bon travail de base, solide et ferme. Ensuite lorsque vous procéderez
aux étages supérieurs, les états méditatifs de félicité eux aussi seront
solides et fermes.
Dans la méthode que j’emploie pour
enseigner la méditation, j’aime bien commencer par l’étape toute simple
d’abandonner les bagages du passé et du futur. Vous pourriez être
tentés de croire que c’est quelque chose de très facile à faire, que
c’est trop fondamental. Si toutefois vous prenez tout votre temps, si
vous ne vous précipitez pas aux étapes ultérieures de la méditation sans
avoir correctement atteint le premier but qu’est l’attention
maintenue sur le moment présent, vous trouverez plus tard que vous
aurez établi une fondation très solide sur laquelle bâtir les étapes
suivantes.
Abandonner le passé signifie ne même
pas penser à votre travail, votre famille, vos engagements, vos
responsabilités, votre histoire, les bonnes et mauvaises périodes de
votre enfance... Vous abandonnez toute expérience passée en n’y
accordant absolument aucun intérêt. Vous devenez quelqu’un qui n’a
aucune histoire pendant la période consacrée à la méditation. Vous ne
pensez même pas à l’endroit d’où vous venez, où vous êtes né, qui
étaient vos parents ou ce qu’a été votre éducation. Toute cette
histoire, on y renonce dans la méditation. De cette façon, tout le monde
en retraite ici se trouve sur le même pied d’égalité, simplement
quelqu’un qui médite. Ça perd de son importance de savoir depuis combien
d’années vous méditez, si vous avez de l’expérience ou si vous êtes
débutant. Si vous pouvez abandonner toute cette histoire, nous sommes
alors tous égaux et libres. Nous nous libérons de certaines de ces
préoccupations, de ces perceptions et de ces pensées qui nous limitent
et nous empêchent de développer la paix née du lâcher prise. Donc au
bout du compte, vous lâchez prise de chaque « partie » de votre
histoire, même l’histoire de ce qui vous est arrivé jusqu’ici pendant
cette retraite, même le souvenir de ce qui vous est arrivé il y a un
instant encore ! De cette manière vous ne transportez aucun fardeau du
passé dans le présent. Quoi qu’il vienne d’arriver, vous ne vous y
intéressez plus et vous lâchez prise. Vous ne permettez pas au passé de
se réverbérer dans votre esprit.
Je décris ceci comme transformer
l’esprit en cellule insonorisée. Quelle que soit l’expérience, la
perception ou la pensée qui entre en contact avec la paroi de la «
cellule insonorisée », elle ne rebondit pas. Elle est simplement
absorbée par le rembourrage et s’arrête là. Ainsi, nous ne permettons
pas au passé de faire écho dans notre conscience, en tout cas pas à ce
qu’il s’est passé hier et auparavant, parce que nous cherchons à
développer un esprit enclin au lâcher prise, à l’abandon et au délestage.
Il y a des gens qui se disent que s’ils se mettent à contempler le
passé, ils peuvent d’une certaine manière en apprendre quelque chose et
résoudre les problèmes du passé. Il vous faut toutefois comprendre que
lorsque vous regardez le passé, vous êtes immanquablement entrain de le
regarder à travers des verres déformants. Quel que soit le souvenir que
vous en ayez, il ne correspond pas vraiment à la réalité. C’est pour ça
que les gens se disputent sur ce qui s’est passé, même il y a quelques
instants. Il est bien connu des policiers qui enquêtent sur les
accidents de la route que, même si un accident a eu lieu il n’y a qu’une
demi-heure, deux témoins oculaires différents, tous deux entièrement
honnêtes, rapporteront des faits différents. Notre mémoire n’est pas
fiable. Si vous considérez un peu le manque de fiabilité de la mémoire,
vous n’accorderez alors aucune valeur à ressasser le passé. Vous pouvez
alors lâcher prise. Vous pouvez l’enterrer, tout comme vous enterrez
quelqu’un qui est mort. Vous le mettez dans un cercueil, en terre, ou
vous l’incinérez, et c’en est fini, terminé. Ne traînez pas sur le
passé. Cessez de trimballer sur votre tête les cercueils de moments
passés ! Si vous le faites, vous vous appesantissez de lourds fardeaux
qui ne vous appartiennent pas vraiment. Laissez aller tout ce qui est
passé et vous avez la possibilité d’être libre dans le moment présent.
Quant au futur, aux anticipations,
aux peurs, aux projets et aux attentes - laissez aller tout ça aussi. Le
Bouddha a dit une fois, au sujet du futur, « quoi que vous imaginiez, ce
sera toujours différent » ! Ce futur est connu des sages comme incertain,
inconnu et imprévisible. C’est souvent complètement stupide d’anticiper
le futur, et c’est toujours une grande perte de temps de penser au futur
dans la méditation.
Lorsque vous travaillez avec l’esprit,
vous trouvez qu’il est si étrange. Il peut faire des choses
merveilleuses et inattendues. Il est très commun que les gens qui vivent
des temps difficiles dans la méditation, qui ne connaissent pas beaucoup
de calme, soient assis à penser « Ça y est, encore une heure de
frustration ». Bien qu’ils commencent par penser ainsi,à anticiper
l’échec, quelque chose d’étrange se passe et ils entrent dans une
méditation très calme.
J’ai récemment entendu parler d’un
monsieur qui faisait sa première retraite de dix jours. Après le premier
jour, il avait si mal dans tout le corps qu’il a demandé à rentrer chez
lui. Le maître a dit « restez un jour de plus et la douleur disparaîtra,
je vous le promets ». Il est donc resté un jour de plus, la douleur a
empiré et il a à nouveau voulu rentrer. Le maître a répété « un seul
jour de plus et la douleur disparaîtra ». Il est resté un troisième jour
et la douleur était encore pire. A chacun des neufs jours, le soir venu
il allait voir le maître, tout endolori, pour demander de pouvoir
rentrer chez lui et le maître répondait « juste un jour de plus et la
douleur disparaîtra ». Ça a été de façon complètement inattendue que, le
dernier jour, à la première assise du matin, la douleur a disparu ! Elle
n’est pas revenue. Il pouvait passer de longues assises sans aucune
douleur du tout ! Il était stupéfait : ce que cet esprit est merveilleux,
et comme il peut produire des résultats aussi inattendus ! Donc, vous ne
connaissez pas le futur. Il peut être si étrange, même bizarre,
complètement au-delà de toute attente. Des expériences comme celle-ci
vous donnent la sagesse et le courage d’abandonner toute pensée
concernant le futur, et aussi toute attente.
Quand vous méditez et pensez «
combien de minutes reste-t-il ? combien de temps encore dois-je endurer
ceci ? », ce n’est encore une fois que s’égarer dans le futur. La
douleur pourrait disparaître à tout instant. Le prochain instant
pourrait être l’instant de liberté. Vous ne pouvez tout simplement pas
anticiper ce qui va arriver.
En retraite, quand vous méditez déjà
depuis de nombreuses séance, vous pouvez parfois penser qu’aucune de ces
séance n’a servi à quoi que ce soit. À la séances suivante, vous vous
asseyez et tout devient très paisible et facile. Vous pensez « ouaah !J’arrive
enfin à méditer ! », et puis la méditation suivante est à nouveau
horrible. Que se passe-t-il donc ici ?
Mon premier maître de méditation m’a
dit quelque chose qui m’a paru, à l’ époque, assez bizarre. Il a dit
qu’une mauvaise méditation, ça n’existe pas ! Il avait raison. Toutes
ces méditations que vous appelez mauvaises, frustrantes et qui ne sont
pas à la hauteur de vos attentes, toutes ces méditations sont celles où
vous travaillez dur pour votre « chèque de paie »...
C’est comme une personne qui va
travailler toute la journée le lundi et ne reçoit pas un sou à la fin de
la journée. « Pourquoi est-ce que je fais ça ? », se demande-t-il. Il
travaille toute la journée le mardi, et toujours rien. Encore une
mauvaise journée. Toute la journée le mercredi, toute la journée le
jeudi, et toujours rien après tout ce dur labeur. Voilà quatre mauvaises
journées d’affilée. Et voilà qu’arrive le vendredi, il accompli
exactement le même travail qu’avant et à la fin de la journée le patron
lui donne un chèque de paie. « Ouaah ! Pourquoi chaque jour n’est-il pas
jour de paie ? »
Pourquoi chaque méditation ne
serait-elle pas « jour de paie » ? Vous comprenez maintenant la
comparaison ? C’est au cours des méditations difficiles que vous
accumulez les crédits, que vous produisez les causes du succès. En
travaillant pour le calme pendant les méditations difficiles, vous
augmentez votre puissance, l’inertie vers le calme. Puis, quand il y a
suffisamment de crédits de bonnes qualités, l’esprit entre dans les
états de félicité.
Au cours d’une retraite que j’ai
donnée récemment à Sydney, pendant une période d’entrevues, une dame m’a
dit qu’elle avait été en colère avec moi toute la journée, mais pour
deux raisons différentes. Au cours de ses premières méditations, elle
passait des moments difficiles et elle était en colère avec moi parce
que je ne sonnais pas la cloche suffisamment tôt pour terminer la
méditation. Au cours des méditations suivantes, elle est entrée dans un
bel état de paix et elle était en colère avec moi pour avoir sonné la
cloche trop tôt. Les sessions étaient toutes de la même durée,
exactement une heure. Il n’y a simplement pas moyen de gagner comme
maître en sonnant la cloche !
Voilà ce qui arrive lorsque vous
anticipez le futur, et pensez « Combien de minutes encore jusqu’à ce que
la cloche sonne ? » C’est là que vous vous torturez, où vous épaulez un
lourd fardeau qui n’est pas de vos affaires. Alors faites bien attention
de ne pas soulever cette grosse valise de « combien de minutes
reste-t-il ? » ou « qu’est-ce que je fais ensuite ? » Si c’est là ce que
vous pensez, alors vous n’êtes pas entrain de prêter attention à ce qui
se passe maintenant. Vous n’êtes pas entrain de faire la méditation.
Vous avez perdu le fil et vous cherchez des ennuis.
A cette étape de la méditation,
maintenez simplement votre attention dans le moment présent, au point de
ne même plus savoir quel jour on est ou l’heure qu’il est. Est-ce le
matin ? l’après-midi ? Sais pas ! Tout ce que vous savez c’est quel
moment on est juste là, maintenant ! De cette manière vous arrivez à
cette belle échelle de temps monastique où vous êtes simplement entrain
de méditer dans le moment présent, sans conscience du nombre de minutes
qui se sont ´écoulées ou qui restent à venir, sans même vous souvenir du
jour qu’on est.
Une fois, comme jeune moine en
Thaïlande, j’avais même oublié quelle année c’était ! C’est merveilleux
de vivre dans ce règne hors du temps, un règne tellement plus libre que
le monde braqué sur l’horloge dans lequel nous vivons habituellement.
Dans ce règne intemporel, vous vivez ce moment-ci, comme tous les êtres
sages qui vivent ce même moment-ci depuis des milliers d’années. Ça a
toujours été simplement ainsi, pas autrement. Vous êtes entré dans la
réalité de maintenant.
La réalité de maintenant est
magnifique et ébahissante. Quand vous avez abandonné tout passé et tout
futur, c’est comme si vous étiez enfin vivant. Vous êtes ici, vous avez
l’esprit présent. C’est la première étape de la méditation, rien d’autre
que cette présence d’esprit maintenue dans le présent uniquement. Arrivé
jusqu’ici, vous avez déjà accompli beaucoup. Vous avez lâché prise du
premier fardeau qui empêche la méditation profonde. Investissez donc
beaucoup d’efforts pour atteindre cette première étape jusqu’à ce
qu’elle soit bien établie, solide et ferme. Ensuite nous allons raffiner
la conscience du moment présent jusqu’à la prochaine étape : une
conscience silencieuse du moment présent.
Le silence : source de sagesse et de
clarté
Dans le premier volet de cet article
tripartite, j’ai décrit le but de cette méditation, à savoir la beauté
du silence, du calme et de la clarté d’esprit. Ces états conduisent à
des révélations profondes. J’ai ensuite montré le thème sous-jacent qui
sous-tend toute méditation comme un fil conducteur, qui est lâcher prise
des fardeaux matériels et mentaux. Pour finir, dans cette première
partie, j’ai longuement décrit la pratique qui mène à ce que j’appelle
la première étape de cette méditation. Cette première étape est atteinte
lorsque la personne qui médite demeure confortablement dans le moment
présent pour de longues durées sans interruption. Comme je l’ai écrit
plus haut, « la réalité de maintenant est magnifique et ébahissante...
Arrivés jusqu’ici, vous avez déjà accompli beaucoup. Vous avez lâché
prise du premier fardeau qui empêche la méditation profonde. » Pourtant,
après avoir accompli tout ça, il faut aller plus loin, s’engager dans le
silence de l’esprit, encore plus beau et plus vrai.
Il peut être utile ici de relever la
différence qui existe entre la conscience silencieuse du moment présent
et le fait d’y penser. Il peut être instructif d’utiliser la comparaison
avec un match de tennis qu’on regarde à la télévision. En regardant un
tel match, vous pouvez remarquer qu’il y a en fait deux matches qui se
jouent en simultané : il y a le match que vous voyez à l’écran, et celui
que vous entendez, décrit par le commentateur. En effet, si un
australien joue contre un français, le commentaire du présentateur
australien a bien des chances d’être très différent de ce qui se passe
en réalité ! Un commentaire est souvent biaisé. Dans cette comparaison,
regarder l’écran sans commentaire symbolise la conscience silencieuse
dans la méditation, prêter attention au commentaire symbolise y penser.
Il faut vous rendre compte que vous êtes bien plus proche de la vérité
lorsque vous observez sans commentaire, lorsque vous vivez simplement la
conscience silencieuse du moment présent.
C’est parfois par l’intermédiaire du
commentaire intérieur que nous croyons connaître le monde. Dans les
faits, ce commentaire intérieur ne connaît rien du tout ! C’est lui qui
tisse les illusions qui sont la cause de la souffrance. C’est lui qui
provoque la colère contre ceux dont nous faisons nos ennemis et
l’attachement à ceux dont nous faisons nos êtres chers. Le discours
intérieur provoque tous les problèmes de la vie. Il fabrique la peur et
la culpabilité. Il crée l’angoisse et la dépression. Il construit ces
illusions aussi sûrement qu’un commentateur habile peut manipuler une
audience pour créer la colère ou les larmes. Donc si vous cherchez la
vérité, il vous faut avoir de l’estime pour la conscience silencieuse,
la considérer plus importante, lorsque vous méditez, que n’importe
quelle pensée qui soit.
C’est la grande valeur que l’on
accorde à nos propres pensées qui forme l’obstacle majeur à l’expérience
de la conscience silencieuse. Soigneusement ôter l’importance que l’on
accorde à nos pensées, puis réaliser la valeur et la véracité de la
conscience silencieuse, voilà la révélation qui rend possible cette
deuxième étape : la conscience silencieuse du moment présent.
Une belle façon de surmonter le
commentaire intérieur c’est de développer une conscience du moment
présent si raffinée, d’observer chaque moment de si près que vous n’avez
simplement pas le temps de faire des commentaires sur ce qui vient
d’arriver. Une pensée, c’est souvent une opinion sur ce qui vient
d’arriver, par exemple « ça, c’était bien », « ça, c’était grossier », «
c’était quoi, ça ? » Tous ces commentaires se font d’une expérience qui
vient de passer. Lorsque vous faites une remarque, ou un commentaire sur
une expérience qui vient de passer, vous n’êtes alors plus entrain de
prêter attention à l’expérience qui vient d’arriver. Vous vous occupez
de vieilles visites et vous négligez les nouvelles visites qui arrivent
en ce moment-même !
Imaginez votre esprit comme l’hôte
d’une réception, accueillant les invités quand ils passent le pas de la
porte. Si, lorsqu’un invité arrive, vous l’accueillez et vous vous
mettez à bavarder, vous n’êtes alors plus entrain de faire votre devoir,
qui est d’accorder votre attention au nouvel invité qui arrive. Á chaque
instant, il y a un invité qui passe le pas de la porte. Par conséquent,
tout ce que vous pouvez faire, c’est en accueillir un, puis tout de
suite aller accueillir le suivant. Vous ne pouvez pas vous permettre
d’engager la moindre conversation avec ces invités, puisque cela
signifie que vous allez manquer le suivant qui se présente. Au cours de
la méditation, toutes nos expériences passent le pas de la porte, ou
passent par les sens, pour arriver dans l’esprit une par une,
successivement. Si vous accueillez une expérience avec présence d’esprit
et engagez la conversation avec votre invité, vous allez manquez la
prochaine expérience qui suit juste derrière.
Quand vous êtes parfaitement dans le
moment présent à chaque expérience, avec chaque invité qui arrive dans
votre esprit, vous n’avez alors tout simplement pas la place pour ce
discours intérieur. Vous ne pouvez pas vous mettre à bavarder avec
vous-même parce que vous êtes complètement occupé à tout accueillir
attentivement à mesure que ça se présente à votre esprit. Ça, c’est une
conscience du moment présent raffinée au point de devenir une conscience
silencieuse du présent à chaque instant.
Vous découvrez, en développant ce
degré-là de silence intérieur, que c’est comme se décharger d’un autre
gros fardeau. C’est comme si vous aviez porté un gros sac à dos sur vos
épaules pendant quarante ou cinquante ans et, pendant ce temps, vous
aviez péniblement parcouru de nombreux, nombreux kilomètres. Maintenant
vous avez eu le courage et trouvé la sagesse d’ôter ce sac à dos et de
le poser au sol pour un moment. On se sent si immensément soulagé, si
libre parce que, maintenant, on n’est plus chargé de ce gros sac à dos
qu’est le discours intérieur.
Une autre manière utile de développer
ce silence intérieur est de reconnaître l’espace entre les pensées,
entre les périodes de discours intérieur. Si vous observez de près avec
une présence d’esprit pointue, quand une pensée se termine et avant
qu’une autre pensée ne commence : là ! C’est ça la conscience
silencieuse ! Il se peut que ce ne soit que momentané au début, mais à
mesure que vous reconnaissez ce silence fugace, vous vous y accoutumez,
et à mesure que vous vous y accoutumez, le silence se met à durer plus
longtemps. Vous commencez à apprécier ce silence, une fois que vous
l’avez finalement trouvé, et c’est pour ça qu’il grandit. Mais
souvenez-vous, le silence est timide. Si le silence vous entend parler
de lui, il s’évanouit immédiatement !
Ce serait merveilleux si chacun
d’entre nous pouvait abandonner le discours intérieur et demeurer dans
la conscience silencieuse du moment présent suffisamment longtemps pour
se rendre compte du délice que c’est. Le silence produit tellement plus
de sagesse et de clarté que la pensée. Quand vous réalisez combien il
est appréciable et valeureux de rester silencieux intérieurement, alors
le silence vous attire d’avantage et devient plus important pour vous.
Le silence intérieur devient ce vers quoi tend l’esprit. L’esprit
recherche ce silence constamment, au point de ne penser que s’il le doit
vraiment, seulement s’il y a une raison de le faire. Puisqu’à ce niveau
vous vous êtes rendu compte que la plupart de vos pensées sont de toute
façon sans but, qu’elles ne vous mènent nulle part, ne font que vous
donner des maux de tête, vous passez joyeusement et facilement plus de
temps dans le silence intérieur.
La deuxième étape de cette méditation
est donc la conscience silencieuse du moment présent. Vous
risquez bien de passer le plus clair de votre temps à développer ces
deux seules étapes, parce que si vous arrivez jusqu’ici, vous aurez
alors déjà parcouru une longue route dans votre pratique de la
méditation. Dans cette conscience silencieuse du « simplement maintenant
», vous goûterez à bien de la paix, de la joie et par conséquent de la
sagesse.
Si vous voulez aller plus loin, alors
plutôt que d’être silencieusement conscient de tout ce qui vient à
l’esprit, vous choisissez la conscience silencieuse dans le moment
présent d’une chose unique. Cette chose peut être l’expérience de la
respiration, une pensée de bienveillance (mettā), un disque
coloré visualisé dans l’esprit (kasina) ou quelques autres points
de focalisation de l’attention qui sont moins communs. Ici nous allons
décrire la conscience silencieuse dans le moment présent de la
respiration.
Le choix de fixer son attention sur
une seule chose, c’est lâcher prise de la diversité et c’est le
mouvement vers son contraire, l’unité. A mesure que l’esprit s’unifie,
en maintenant l’attention tout simplement sur une seule chose,
l’expérience de la paix, de la félicité et de la puissance augmente
sensiblement. Vous découvrez ici que la diversité de la conscience c’est
comme avoir six téléphones sur un bureau qui sonnent tous en même temps
: c’est le bagne, et lâcher prise de cette diversité, c’est ne permettre
qu’une seule ligne, privée de surcroît : quel soulagement ! Ça engendre
de la félicité. Comprendre que la diversité est un fardeau est crucial
pour être capable de se poser sur la respiration.
Si vous avez soigneusement développé
une conscience silencieuse du moment présent pendant de longues durées,
vous trouverez alors assez facile de tourner cette attention vers la
respiration et de la suivre à chaque instant, sans interruption. C’est
ainsi parce que les deux obstacles majeurs à la méditation sur la
respiration ont déjà été levés. Le premier de ces deux obstacles est la
tendance de l’esprit à filer dans le passé ou le futur. Le deuxième
obstacle est le discours intérieur. Voilà pourquoi j’enseigne les deux
étapes préliminaires que sont la conscience du moment présent et la
conscience silencieuse du moment présent comme formant une préparation
solide pour aller plus profond dans la méditation sur la respiration.
Il arrive souvent que les gens se
mettent à méditer alors que leur esprit saute encore du passé au futur,
et que l’attention est noyée de commentaires intérieurs. Sans
préparation, ils trouvent la méditation sur la respiration très
difficile, même impossible et abandonnent par frustration. Ils
abandonnent parce qu’ils n’ont pas commencé au bon endroit. Ils n’ont
pas accompli assez de travail préparatoire avant de prendre la
respiration comme point de focalisation de l’attention. Toutefois, si
l’esprit a été bien préparé, en complétant ces deux premières étapes,
vous trouverez que vous êtes aisément capable de maintenir votre
attention sur la respiration. Si par contre vous trouvez ça difficile,
c’est un signe que vous vous êtes précipité dans les deux premières
étapes. Retournez aux exercices préliminaires ! La patience exercée avec
soin est la voie la plus rapide.
Lorsque vous vous focalisez sur la
respiration, focalisez sur l’expérience présente de la respiration.
L’expérience vous raconte ce que fait la respiration, si elle rentre,
sort, ou se trouve entre deux. Certains maîtres disent d’observer la
respiration au bout du nez, d’autres disent de l’observer au niveau de
l’abdomen et d’autres encore disent de la déplacer ici, puis là. Pour ma
part, j’ai trouvé que ça n’a aucune d’importance. En fait, c’est mieux
de ne pas la localiser où que ce soit ! Si vous placez la respiration au
bout du nez ça devient la conscience du nez, et non plus la conscience
de la respiration, et si vous la placez au niveau de l’abdomen ça
devient la conscience de l’abdomen. Posez-vous simplement la question «
maintenant, suis-je entrain d’inspirer ou d’expirer ? » Comment le
savez-vous ? Là ! Cette expérience-là qui vous dit ce que fait la
respiration, voilà ce sur quoi il faut se focaliser pendant cette
méditation sur la respiration. Laissez tomber la préoccupation de savoir
où se situe cette expérience ; focalisez-vous simplement sur
l’expérience elle-même.
Un des obstacles fréquents à ce stade,
c’est la tendance à contrôler la respiration, et ça rend la respiration
inconfortable. Pour surmonter cet obstacle, imaginez vous comme passager
d’une voiture, qui regarde sa respiration par la fenêtre. Vous n’êtes
pas le conducteur et n’avez pas de télécommande, alors cessez de donner
des ordres, lâchez prise et appréciez la ballade. Laissez respirer la
respiration, et ne faites que regarder, sans intervenir.
Quand vous savez que la respiration
rentre, ou qu’elle sort, pour, disons, une centaine de cycles
respiratoires consécutifs, sans en manquer un, vous avez alors atteint
ce que j’appelle la troisième étape de cette méditation, l’attention
maintenue sur la respiration. C’est encore plus paisible et plus
joyeux que l’étape précédente. Pour aller plus profondément, il vous
faut maintenant viser la pleine attention maintenue sur la respiration.
Cette quatrième étape, ou la
pleine attention maintenue sur le moment présent, survient lorsque
l’attention s’étend pour intégrer absolument chaque instant de la
respiration. Connaissez l’inspiration dès son tout premier instant,
lorsque apparaît sa première sensation. Puis observez le développement
progressif de ces sensations pendant toute la durée de l’inspiration,
sans enmanquer ne serait-ce qu’un seul instant. Lorsqu’elle se termine,
connaissez-la à cet instant-là, suivez-la dans votre esprit jusqu’à son
dernier mouvement. L’instant suivant est comme une pause entre deux
mouvements respiratoires, avec de nombreuses autres pauses, jusqu’à ce
que débute l’expiration. Voyez ensuite le premier instant de
l’expiration, puis chacune des sensations subséquentes à mesure qu’elle
évolue, jusqu’à ce qu’elle disparaisse, une fois sa fonction complétée.
Tout ceci se fait en silence et juste ici, dans le moment présent.
Vous ressentez donc chaque partie de
chaque inspiration et chaque expiration, de façon continue, pendant des
centaines de cycles respiratoires consécutifs. Voilà pourquoi on appelle
cette étape « la pleine attention maintenue sur la respiration ».
Vous ne pouvez atteindre ce degré de tranquillité qu’en lâchant prise
d’absolument tout dans l’univers entier, à l’exception de cette
expérience instantanée de la respiration qui a lieu en silence,
maintenant. Ce n’est pas « vous » qui atteignez cette étape ; c’est
l’esprit qui l’atteint. L’esprit fait le travail de lui-même. L’esprit
reconnaît cette étape comme une demeure très paisible et agréable, de
juste être seul avec la respiration. C’est là que le « faiseur », la
partie majeure de notre ego, commence à s’effacer.
Vous trouverez la progression facile
à cette étape de la méditation. Vous n’avez qu’à vous ôter du chemin,
lâcher prise, et regarder tout ça se faire. L’esprit sera naturellement
enclin, si vous lui en donnez l’occasion, à cette union toute simple,
paisible et délicieuse avec une seule chose, d’être simplement uni à la
respiration, à chaque instant. Ça, c’est l’unité d’esprit, l’unité dans
l’instant, l’unité dans la tranquillité.
La quatrième étape est ce que
j’appelle le « plongeoir » de la méditation, parce d’ici on peut plonger
dans les états de félicité. Si vous ne faites que maintenir cet état
d’unité de conscience, sans intervenir, la respiration va se mettre à
disparaître. La respiration semble disparaître à mesure que l’esprit se
focalise sur ce qui se trouve au centre de cette expérience de la
respiration, à savoir une paix, une liberté et une félicité
impressionnantes.
À cette étape, j’utilise le terme de
« belle respiration ». L’esprit reconnaît que cette respiration paisible
est extraordinairement belle. Vous en êtes constamment conscient,
instant après instant, sans interruption du fil de l’expérience. Vous
n’êtes conscients que de cette belle respiration, sans effort, et
pendant une longue durée.
À présent, laissez disparaître la
respiration et, tout ce qu’il vous reste, c’est le « beau ». La beauté
désincarnée devient l’unique objet de l’esprit. L’esprit est entrain de
trouver son propre objet. À présent, vous n’êtes plus du tout conscient
de la respiration, du corps, des pensées, des sons ou du monde extérieur.
Tout ce dont vous êtes conscient, c’est la beauté, la paix, la félicité,
la lumière, ou peu importe le nom qui lui sera trouvé plus tard. Vous ne
percevez que la beauté en continu et sans aucun effort, sans qu’il n’y
ait quoi que ce soit qui soit beau. Ça fait déjà longtemps que vous avez
laissé tomber tout bavardage, les descriptions et les évaluations. Ici,
l’esprit est si tranquille que vous êtes incapable de dire quoi que ce
soit. Vous êtes simplement entrain de goûter à la première floraison de
félicité dans l’esprit. Cette félicité va se développer, grandir,
devenir très stable et solide. C’est ainsi que l’on entre dans ces états
de méditation nommés les jhānas. Mais ça, c’est pour la troisième partie
de cet enseignement !
Ne rien faire
Ne faites absolument rien et voyez
comme la respiration peut paraître fluide, belle et intemporelle.
Les parties 1 et 2 décrivent ce que
nous appelons ici les quatre
1. la conscience de l’instant
présent
2. la conscience silencieuse de
l’instant présent
3. la conscience silencieuse de la
respiration dans l’instant présent
4. la pleine attention maintenue
sur la respiration
Chacune de ces étapes doit être bien
développée avant de pouvoir passer à l’étape suivante. Si l’on précipite
ces « étapes de lâcher prise », les étapes suivantes demeureront
inaccessibles. C’est comme construire un grand immeuble sur des
fondations inadéquates. Le rez-de-chaussée est vite construit, le
premier et deuxième étage aussi. Toutefois, en ajoutant le troisième
étage, la structure commence à vaciller. Puis, en essayant d’en ajouter
un quatrième , le tout s’écroule. Alors je vous en prie, passez beaucoup
de temps sur ces quatre étapes initiales, rendez-les fermes et stables,
avant de procéder à la cinquième étape. Vous devez être capable de
maintenir la quatrième étape, « la pleine attention maintenue sur la
respiration », conscient de chaque instant de la respiration sans aucune
interruption, pendant facilement deux ou trois cent cycles respiratoires
successifs. Je ne dis pas qu’il faut compter les cycles pendant cette
étape, mais je vous donne une indication de la durée qu’il faut passer
sur cette quatrième étape avant de poursuivre. Dans la méditation, la
patience est la voie la plus rapide !
La cinquième étape s’appelle «
la pleine attention maintenue sur la belle respiration ».
Souvent, cette étape suit naturellement la précédente, de façon fluide.
Tandis que la pleine attention demeure sur l’expérience de la
respiration avec facilité et constance, sans que rien n’interrompe le
flux uniforme de la conscience, la respiration se calme. Elle passe de
grossière et ordinaire à une « belle respiration » très fluide et
paisible. L’esprit reconnaît cette belle respiration et s’en délecte. Il
perçoit un approfondissement du sentiment de contentement. Il est
heureux de juste être là, à regarder cette belle respiration. Il n’y a
pas besoin de forcer. Il reste avec la belle respiration de lui-même. «
Vous » ne faites rien du tout. Si vous tentez de faire quoi que ce soit
au cours de cette étape, vous dérangez le processus et la beauté est
perdue. C’est comme quand on atterri sur la case avec la tête du
serpent, dans le jeu de société des serpents et des échelles : vous
devez reculez de nombreuses de cases. Le « faiseur » doit disparaître
dans cette étape de la méditation, ne laissant que le « connaisseur »
qui observe passivement.
Un truc utile pour accéder à cette
étape est d’interrompre le silence intérieur juste une fois et de penser
doucement : « Calme ». C’est tout. A cette étape de la méditation,
l’esprit est d’habitude si sensible qu’un simple petit coup de pouce
comme ça suffit, et l’esprit suit l’instruction. La respiration se calme
et la belle respiration émerge.
Lorsque vous ne faites qu’observer
passivement la belle respiration dans l’instant présent, les perceptions
d’inspiration, d’expiration, de début, milieu ou fin d’un cycle
respiratoire doivent toutes pouvoir disparaître. La seule chose qui est
connue est l’expérience de la belle respiration qui a lieu maintenant.
L’esprit ne se soucie plus de savoir si c’est cette partie-ci du cycle
respiratoire ou une autre, ni dans quelle partie du corps elle a lieu.
Ici nous simplifions l’objet de méditation. C’est l’expérience de la
respiration dans l’instant présent. On laisse tomber tous les détails
qui ne sont pas nécessaires, on va au-delà de la dualité de « dedans »
et « dehors », et on n’est conscient que de la belle respiration qui
apparaît fluide et continue, à peine changeante.
Ne faites absolument rien et voyez
comme la respiration peut paraître fluide, belle et intemporelle. Voyez
jusqu’où vous pouvez laisser aller le calme. Prenez le temps de savourer
la douceur de la belle respiration, toujours plus calme, toujours plus
belle.
Ce qui se passe ensuite, c’est que la
respiration va disparaître, non pas lorsque « vous » le voudrez mais
lorsqu’il y aura suffisamment de calme, ne laissant que le « beau ». Il
y a une métaphore dans la littérature anglaise qui illustre cela. Dans «
Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll, Alice et la Reine
Blanche aperçoivent dans le ciel un chat du Cheshire, souriant. Tandis
qu’elles regardent, la queue du chat disparaît, puis les pattes, ainsi
que reste des jambes. Peu après, son buste disparaît aussi, ne laissant
que la tête, toujours souriante. Puis la tête elle-même disparaît
progressivement, en commençant par les oreilles et les moustaches,
suivis de la tête entière, à l’exception du sourire qui reste là,
suspendu dans le ciel ! C’est un sourire sans lèvres pour le produire,
mais néanmoins un sourire, visible. Voilà une métaphore très précise
pour décrire le processus de lâcher prise qui se fait à cette étape de
la méditation. Le chat au visage souriant, c’est la belle respiration.
Le chat qui disparaît, c’est la respiration qui disparaît et le sourire
désincarné, encore visible dans le ciel, c’est l’objet mental pur de «
beauté », clairement visible dans l’esprit.
Cet objet mental pur s’appelle une
nimitta. « Nimitta » signifie un signe, ici un signe mental.
C’est un véritable objet dans le paysage de l’esprit (citta) et,
lorsqu’il apparaît pour la première fois, c’est extrêmement étrange. On
n’a tout simplement jamais rien vécu de tel auparavant. Néanmoins,
l’activité mentale qu’on appelle « perception » recherche dans sa banque
de données d’expériences vécues quelque chose de semblable, même si ce
n’est qu’un peu, pour fournir à l’esprit une description de ce phénomène
jusqu’ici inconnu. Pour la plupart des gens qui méditent, cette « beauté
désincarnée », cette joie mentale est perçue comme une belle lumière. Ce
n’est pas une lumière. Les yeux sont fermés et la conscience visuelle
est éteinte depuis longtemps. C’est la conscience de l’esprit libérée
pour la première fois du monde des cinq sens. C’est comme la pleine lune,
comparée ici à l’esprit radieux, qui se dégage des nuages, ces derniers
étant comparés ici au monde des cinq sens. C’est l’esprit qui se
manifeste, et non une lumière, mais pour beaucoup, ça apparaît comme une
lumière, c’est perçu comme une lumière, parce que cette description
imparfaite est la meilleure que la faculté de perception ait à offrir.
Pour d’autres gens, cette faculté de
perception choisit de décrire cette première manifestation de l’esprit
selon des sensations physiques telles qu’une tranquillité ou une extase
intenses. Encore une fois, la conscience physique (celle qui ressent
l’expérience de plaisir et de douleur, de chaud et de froid, etc.) est
éteinte depuis longtemps, et ceci n’est pas une sensation physique. Ce
n’est que « perçu » comme étant semblable au plaisir. Certains voient
une lumière blanche, d’autres une étoile dorée, d’autres une perle bleue...
Il est important de savoir que ce sont toutes des descriptions du même
phénomène. Ces gens goûtent tous au même objet mental pur et les détails
différents sont rajoutés par leurs différentes faculté de perception.
Vous pouvez reconnaître une
nimitta d’après les 6 critères suivants :
1. elle n’apparaît qu’après le
cinquième stade de la méditation, après que la personne méditant soit
restée longtemps sur la belle respiration ;
2. elle apparaît lorsque la
respiration disparaît ;
3. elle n'apparaît que lorsque les
cinq sens externes de la vue,l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher
sont complètement absents;
4. elle ne se manifeste que dans
l’esprit silencieux, lorsque les
pensées descriptives (le discours
intérieur) sont totalement absentes ;
5. elle est étrange mais fortement
attirante ;
6. c’est un objet magnifiquement
simple.
Je vous fais part de ces
caractéristiques pour que vous puissiez faire la différence entre les
vraies nimitta et celles qui viennent de l’imagination.
Cette sixième étape se nomme «
l’expérience de la belle nimitta ». Elle est
atteinte lorsqu’on lâche prise du corps, de la pensée et des cinq sens
(y compris la conscience de la respiration) à un tel point qu’il ne
reste que la belle nimitta.
Parfois, lorsqu’elle commence à
apparaître, la nimitta peut paraître « manquer d’éclat ». Il faut
alors retourner immédiatement à l’étape précédente de la méditation, la
conscience silencieuse maintenue sur la belle respiration. On a passé à
la nimitta trop tôt. Des fois la nimitta est vive, mais
instable, clignotant comme la lumièred’un phare. Encore une fois, ceci
indique que vous avez quitté la belle respiration trop tôt. On doit être
capable de maintenir facilement son attention sur la belle respiration
pendant longtemps avant que l’esprit ne soit capable de maintenir une
attention claire sur la nimitta, bien plus subtile. Entraînez
donc l’esprit sur la belle respiration, entraînez-le avec patience et
diligence, puis, quand il est temps de passer à la belle nimitta,
elle sera vive, stable et facile à maintenir.
La raison principale pour laquelle la
nimitta peut paraître manquer d’éclat, c’est que la profondeur du
contentement est insuffisante. Vous êtes encore à « vouloir » quelque
chose. D’habitude, vous avez envie d’une nimitta vive ou d’une
jhāna. Souvenez-vous, et c’est important, les jhānas sont des
états de lâcher prise, des états de contentement incroyablement profonds.
Alors débarrassez-vous de l’esprit affamé, développez le contentement
avec la belle respiration et la nimitta et les jhānas
viendront d’elles-mêmes.
La principale raison d’instabilité
d’une nimitta, c’est que le « faiseur » ne veut tout simplement
pas arrêter de s’en mêler. Le « faiseur », c’est celui qui contrôle,
celui qui veut piloter depuis le siège arrière, qui se mêle constamment
de ce qui ne le regarde pas et gâche tout. Cette méditation est un
processus naturel qui mène
Un truc utile pour parvenir à un
lâcher prise aussi profond est d’offrir délibérément votre confiance à
la nimitta. Interrompez le silence juste une seule fois, très
très délicatement, et chuchotez, comme dans votre esprit, que vous
donnez votre pleine confiance à la nimitta, pour que le « faiseur
» puisse abandonner tout contrôle et tout simplement disparaître.
L’esprit, représenté devant vous par la nimitta, prendra alors en
main le processus et vous n’avez qu’à observer le déroulement de
l’affaire.
Ici, vous n’avez rien besoin de
faire, parce que la beauté intense de la nimitta est plus que
capable de retenir l’attention sans votre aide. Prenez garde, ici, de ne
pas vous mettre à évaluer. Des questions telles que « qu’est-ce que
c’est que ça ? », « est-ce que c’est une jhāna ? », « que dois-je
faire ensuite?», et ainsi de suite sont toutes l’oeuvre du « faiseur »
qui essaie à nouveau de prendre les choses en main. Ceci dérange le
processus. Vous pouvez tout évaluer une fois le voyage terminé. Un bon
scientifique n’évalue une expérience qu’à la fin, après avoir collecté
toutes les données. Alors pour l’instant, n’essayez pas d’évaluer ou de
tout saisir. Il n’y a aucun besoin de prêter attention au contours de la
nimitta : « est-elle ronde ou ovale ? », « les bords sont-ils
clairs ou flous ? ». Tout ceci n’est pas nécessaire et ne mène qu’à
d’avantage de diversité, de dualité entre « dedans » et « dehors », à
d’avantage de dérangements.
Laissez l’esprit aller vers ce qui
l’attire, généralement le centre de la nimitta. C’est au centre
que se trouve la partie la plus belle, où la lumière est la plus
brillante et la plus pure. Lâchez prise et appréciez le voyage à mesure
que l’attention est attirée au centre et y plonge, à mesure que la
lumière s’étend tout autour et vous enveloppe complètement. C’est en
fait une et une seule expérience perçue depuis différents points de vue.
Laissez l’esprit se fondre dans la béatitude. Laissez surgir la septième
étape de cette voie de méditation, la première jhāna.
Deux obstacles sont communs au seuil
de la première jhāna : l’excitation ou la peur. L’excitation,
c’est s’agiter. Au moment où l’esprit pense « Ouaah, la voilà ! », il
est alors très peu probable que la jhāna se montre. Cette
réaction « ouaah ! » doit être subjuguée en faveur d’une passivité
absolue. Vous pouvez garder toutes les exclamations pour plus tard,
quand vous émergerez de la jhāna, à un moment où elles seront
plus appropriées. L’obstacle toutefois le plus probable, c’est la peur.
La peur apparaît dès que sont reconnues la puissance et la béatitude
absolues de la jhāna, ou quand on reconnaît que, pour
complètement pénétrer dans la jhāna, il faut abandonner quelque
chose : vous ! Le « faiseur » est silencieux avant la jhāna, mais
toujours présent. Dans la jhāna, par contre, il disparaît
complètement. Le « connaisseur » fonctionne toujours, vous êtes
pleinement conscient, mais toutes les commandes sont maintenant hors de
portée. Vous ne pouvez même pas formuler une seule pensée, sans parler
de prendre une décision. La volonté est gelée et ceci peut paraître
effrayant pour le débutant. Ça ne vous était encore jamais arrivé
auparavant dans votre vie d’être aussi dénué de tout contrôle, et
pourtant aussi complètement éveillé. Cette peur, c’est la peur de céder
quelque chose d’aussi essentiellement personnel que la volonté de faire.
Cette peur peut être surmontée par la
confiance dans les enseignements du Bouddha ainsi que dans la séduisante
béatitude que l’on peut apercevoir un peu plus loin comme récompense. Le
Bouddha a souvent dit « qu’il ne faut pas s’effrayer de cette béatitude
qu’il y a dans la jhāna, mais la suivre, la développer et la
pratiquer souvent » (Latukikopama Sutta, Majjhima Nikāya). Alors
juste avant que n’apparaisse la peur, offrez votre pleine confiance à
cette béatitude et maintenez votre foi dans les enseignements du Bouddha
et l’exemple des nobles disciples. Faites confiance au Dhamma et laissez
la jhāna vous embrasser chaleureusement pour une expérience sans
effort, en-dehors du corps et de l’ego, béatifiante et qui sera la plus
profonde de votre vie. Ayez le courage de complètement abandonner le
contrôle pour un moment et de vivre tout ceci par vous-même.
Si c’est une jhāna, elle va
durer longtemps. Ça ne mérite pas de s’appeler une jhāna si ça ne
dure que quelques minutes. Habituellement les jhānas supérieures
persistent pendant plusieurs heures. Une fois entré dedans, on n’a plus
la possibilité de choisir. Vous ne sortirez de la jhāna qu’une
fois que l’esprit est prêt à en sortir, lorsque les « crédits »
d’abandon accumulés auparavant sont complètement dépensés. Ce sont des
états de conscience si tranquilles et satisfaisants que leur nature même
est de persister pendant très longtemps. Une autre caractéristique de la
jhāna est qu’elle n’arrive qu'après qu’on ait discerné la
nimitta telle que décrite plus haut. En outre, il vous faut savoir
que lorsque vous êtes immergé dans n’importe laquelle des jhānas,
il est impossible de ressentir le corps (p.ex. la douleur physique),
d’entendre un son de l’extérieur ou de produire une seule pensée, pas
même une « bonne » pensée. Il n’y a qu’une unicité de perception, claire,
une expérience de béatitude non duelle qui se poursuit sans modification
pendant très longtemps. Ce n’est pas une transe, mais un état de
conscience élevé. Ceci est dit pour que vous puissiez savoir par
vous-même si ce que vous prenez pour une jhāna est réel ou
imaginaire.
La méditation, c’est encore beaucoup
plus que ceci, mais ici n’est décrite que la méthode fondamentale de
développement, en utilisant sept étapes qui culminent avec la première
jhāna. On pourrait en dire bien plus sur les « cinq obstacles »
et comment les surmonter, sur le sens de la présence d’esprit et comment
elle est employée, sur les quatre fondements de la présence d’esprit (satipatthāna),
les quatre voie du succès (iddhipāda), les cinq facultés (indriya)
ainsi qu’évidemment sur les jhānas supérieures. Tout ceci
concerne aussi cette pratique de la méditation, mais nous devons le
garder pour une autre occasion.
Pour ceux qui pourraient méprendre
tout ceci pour « rien que de la pratique de samatha sans
considération pour celle de vipassana », sachez que ce n’est ni
vipassana ni samatha. Ça s’appelle « bhāvana », la
méthode enseignée par le Bouddha et reprise dans la tradition de forêt
du nord-est de la Thaïlande, de laquelle mon maître, le vénérable Ajahn
Chah, faisait partie. Ajahn Chah disait souvent que samatha et
vipassana ne peuvent être séparées, et que cette paire ne peut pas
non plus se développer séparément de la vue juste, la pensée juste, la
conduite morale juste et ainsi de suite... En effet, pour progresser
dans les sept étapes décrites plus haut, la personne qui médite a besoin
d’une compréhension et une acceptation des enseignements du Bouddha, et
ses préceptes doivent être purs. Une révélation sera nécessaire pour
atteindre chacune de ces étapes, c’est-à-dire une révélation de la
signification du « lâcher prise ». Plus on développe ces étapes, plus
les réévélations seront profondes, et si vous allez jusqu’à la jhāna,
votre comprèhension toute entière en sera bouleversée. En fait, la
révélation danse autour de la jhāna, et la jhāna autour de
la révélation. C’est la voie vers le nibbāna. Le Bouddha a dit «
pour celui qui s’adonne à la jhāna, quatre résultats sont à
attendre : la réalisation du sotāpanna (la personne qui est
entrée dans la voie), du sakadāgāmī (celui à qui il ne reste
qu’un seul retour unique), de l’anāgāmī (celui qui a atteint la
réalisation de non-retour) ou de l’arahant (celui qui a atteint
le but ultime) » (Pasādika Sutta, Dīgha Nikāya).
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Source : http://www.dhammadelaforet.org | |